mercredi 28 avril 2010

Chartreuse dans la littérature

Léon Bloy, Le désespéré
"Le surlendemain, Marchenoir commençait à pied l'ascension du Désert de la Grande-Chartreuse. Lorsqu'il eut franchi ce qu'on appelle l'entrée de Fourvoirie, rainure imperceptible entre deux rocs monstrueux, au-delà desquels la vie moderne paraît brusquement s'interrompre, une sorte de paix joyeuse fondit sur lui. Il allait enfin savoir à quoi s'en tenir sur cette Maison fameuse dans la Chrétienté, -- si bêtement entrevue, de nos jours, à travers les fumées de l'alcoolisme démocratique, -- ruche alpestre des plus sublimes ouvriers de la prière, de ceux-là qu'un vieil écrivain comparaît aux Brûlants des cieux et qu'il appelait, pour cette raison, les "Séraphins de l'Église militante !"
Les gens badigeonnés d'une légère couche de christianisme qui veulent que les pèlerinages soient commodes, affirment sous serment que le monastère est inaccessible dans la saison des neiges. L'effet heureux de ce préjugé est une restitution périodique de l'antique solitude cartusienne tant désirée par saint Bruno pour ses religieux !
L'énorme affluence des voyageurs, dans ce qu'on est convenu d'appeler la belle saison, doit être, pour les solitaires, une bien pesante importunité. La foi du plus grand nombre de ces curieux n'aurait certainement pas la force évangélique qui fait bondir les montagnes, et beaucoup viennent et s'en vont qui n'ont pas d'autre bagage spirituel que le très sot journal d'un touriste sans ingénuité. N'importe ! ils sont reçus comme s'ils tombaient du ciel, aérolithes mondains de peu de fulgurance, qui ne déconcertent jamais l'accueillante résignation de ces moines hospitaliers
La Grande-Chartreuse doit donc être visitée en hiver par tous ceux qui veulent se faire une exacte idée de cette merveilleuse combinaison de la vie érémitique et de la vie commune qui caractérise essentiellement l'Ordre cartusien, et dont la triomphante expérience accomplit, tout à l'heure, son huitième siècle.
Fondée en 1084, la famille de saint Bruno, -- rouvre glorieux qui couvrit le monde chrétien de sa puissante frondaison, -- seule entre toutes les familles religieuses, a mérité ce témoignage de la Papauté : "Cartusia nunquam reformata, quia nunquam deformata, l'ordre des Chartreux, ne s'étant point déformé, n'a jamais eu besoin d'être réformé."
Dans un siècle aussi jeté que le nôtre aux lamproies ou aux murènes de la définitive anarchie qui menace de faire ripaille du monde, il est au moins intéressant de contempler cet unique monument du passé chrétien de l'Europe, resté debout et intact, sans ébranlement et sans macule, dans le milieu du torrent des siècles."
Texte en ligne

J.K. Huysmans, A rebours
"La similitude se prolongeait encore : des relations de tons existaient dans la musique des liqueurs; ainsi pour ne citer qu'une note, la bénédictine figure, pour ainsi dire, le ton mineur de ce ton majeur des alcools que les partitions commerciales désignent sous le signe de chartreuse verte. "

Léon Daudet, Salons et journaux - souvenirs des milieux politiques, littéraires, artistiques et médicaux de 1880 à 1908
De temps en temps, trop rarement à mon gré, on apercevait, chez Foemina, le psychologue Antoine Bibesco. C'est un des plus amusants numéros que j'aie rencontrés. Ce grand garçon voûté, barbu, tenance, au visage plissé, qui semble ridé, s'approchait de vous et vous interrogais : "Quel age avez-vous ? Depuis combien de tempsfaîtes-vous de la littérature ?... Quand vous réfléchissez, voyez-vous un abîme à gauche, comme Pascal, ou une boule de feu comme Newton ?... Quel est le chiffre de vos revenus ?... Avez-vous une saveur amère dans la bouche, lorsque vous dites coloquinte ?... Quel était le prénom de votre bisaïeul ?... Préférez-vous la chartreuse ou la bénédictine?" On m'assure que, des notions ainsi recueillies, Antoine Bibesco - les plus inquisitorial des incohatifs - constitue des sortes de table baconniennes, d'où il extrait des lois de l'esprit."

9 commentaires:

  1. Petite vidéo humoristique d'un trublion dauphinois (Serge Papagalli) sur les vertus de notre chère liqueur:

    http://www.youtube.com/watch?v=dtpI555xGqI

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  2. Slt Briscard,

    Merci pour cette vidéo qui m'a fait bien rire !
    Sacré personnage que ce Papagalli !!! Et comme il le dit si bien, "ON EST JAMAIS MALADE AVEC LA CHARTREUSE" !
    Merci.

    Chartreusement,

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  3. Dans la littérature, la liqueur est également mentionnée chez F Scott Fitzgerald avec Gatsby le Magnifique . En Français, ça donne :
    "Nous avons fini par atteindre l'appartement de Gatsby - chambre avec salle de bain, et bureau du XVIIème écossais, imité des frères Adam. Nous nous sommes assis et il nous a offert une sorte de chartreuse, qu'il a sortie d'un petit placard."(Chapitre V)

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  4. Bonjour et merci pour votre contribution !!

    Je suis tombé sur cette autre mention, il y a peu, dans "L'adolescent" de Dostoïevski :
    "Mais, au bout de deux mois, la saison finie, nous voilà tous dans les montagnes, nous faisons ensemble des ascensions, avec des cannes à bout pointu, tantôt sur une montagne, tantôt sur une autre, peu importe. Au tournant , c'est-à-dire à l'étape, là où les moines fabriquent la chartreuse - remarquez-le bien - je rencontre un indigène, planté là, solitaire, et regardant silencieusement. Je veux me faire une idée de son sérieux (...)"
    [Chap . VIII-2, édition Livre de Poche 1967]

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  5. "Régis et Michel se retrouvaient le long du Rhône, persuadés de s'être haussés de plusieurs degrés vers les sphères éternelles et de vivre une journée digne d'eux en tous points. Ils n'eussent pas convenu volontiers que trois verres de chartreuse verte, après les vins, leur avaient fourni un appréciable adjuvant."
    Les deux étendards, Lucien Rebatet

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  7. "Son verre de vin blanc à la main, Erlendur ne se sentait pas à sa place. Il examinait la foule venue au cocktail à l'occasion de la parution du livre d'Elinborg. Il avait éprouvé bien des difficultés à décider s'il devait y assister ou non, mais il avait finalement choisi de s'y rendre. Les mondanités l'ennuyaient, en tout cas le nombre infime qui croisait son chemin. Il avala une gorgée de vin blanc et grimaça. Le vin était aigre. Il pensa avec regret à la chartreuse qui l'attendait chez lui."

    Arnaldur Indridason, L'homme du lac (titre original : Kleifarvatn, traduit de l'islandais par Éric Boury)

    Merci à Jérôme de Paris.

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  8. Dans l'homme du lac d'Indridason, en fait la Chartreuse revient comme un leitmotiv tout au long du roman, dans les rencontres entre Erlendur et Valgerdur :
    Chapitre 11, cf le précédent commentaire de Rodolphe.

    Chapitre 16,
    Valgerdur sourit furtivement lorsqu'il lui ouvrit.
    [...] Je ne veux plus qu'il t'appelle. Cette histoire est entre lui et moi, tu n'as rien à voir là-dedans.
    Erlendur sourit. Il se souvint qu'il avait une bouteille de chartreuse verte dans le placard, il alla la chercher en même temps que deux verres à liqueur. Il remplit les verres et lui en tendit un.

    Chapitre 32
    Valgerdur ne tarda pas à apparaître. [...]
    -Il te resterait un peu de ce liquide vert ? demanda-t-elle en s'asseyant dans le canapé.
    Il hocha la tête, sortit la bouteille de chartreuse et deux verres à liqueur. Il se souvint d'avoir entendu un jour que trente sortes de plantes entraient dans sa composition afin de lui donner le goût recherché. Il vint s'asseoir à coté d'elle pour les lui énumérer.
    [...]
    Erlendur sentit l'alcool lui déchirer la gorge quand il avala la chartreuse. Il remplit à nouveau les verres en pensant à son parfum, qu'il avait senti quand elle avait franchi la porte. C'était comme l'odeur d'un été depuis longtemps disparu. L'esprit d'Erlendur s'emplit d'un étrange regret dont les racines remontaient dans le temps plus loin qu'il ne l'imaginait.

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  9. Afonso – il le confessait avec un sourire confus – était devenu avec l'âge un « gourmet » exigeant. Et il accueillait avec la concentration d'un critique les ouvres d'art du chef français qu'il avait maintenant, personnage au caractère détestable, bonapartiste en diable, qui ressemblait beaucoup à l'Empereur, et qui s'appelait M. Théodore. Les déjeuners au Ramalhete étaient toujours longs et délicats. Au café on s'attardait encore à causer. Et il était plus d'une heure ou d'une heure et demie quand Carlos, poussant un cri et se précipitant sur sa montre, se souvenait de son cabinet. Il buvait un verre de chartreuse et allumait en hâte un cigare.
    - Au travail, au travail ! s'écriait-il.

    Eça de Queiroz, 1888, Les Maia, éditions Chandeigne, traduit du portugais par Paul Teyssier

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