mardi 3 mai 2016

Entretien avec Michel Steinmetz (2)

Comment est-ce que cela s'est concrétisé ?
Collage en hommage à la Chartreuse verte
Le travail d'édition est très exigeant et il a fallu déterminer un style et un découpage chronologique pour faciliter la lecture. J'ai proposé des tableaux synoptiques en tête de chaque chapitre concernant un siècle pour que le lecteur puisse visualiser les évènements. Après, il a fallu sélectionner l'iconographie que j'avais pu glaner au fil de mes rencontres avec des passionnés, des sommeliers, des bouquinistes, etc... dont certains sont devenus des amis. La maison Bonnat à Voiron m'a été d'une grande aide car leurs catalogues annuels mettaient en scène les dernières productions des Chartreux dans des coffrets magnifiques: cela a permis d'être précis sur les datations des différentes époques de production.
Et puis en 2006, le livre est né... en même temps que la sortie du film de Phillip Groenig "Le grand silence" sur la vie des Chartreux.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur les recherches effectuées et sur l'écriture du livre ?
Au départ, je n'avais que peu d'éléments disponibles à disposition: il y avait un chapitre succinct dans le livre "La Grande Chartreuse par un Chartreux" et dans celui de Vals et Serrou "Au désert de Chartreuse" (suites d'un reportage commandé par Paris Match en 1968 et première ouverture du Monastère de la Grande Chartreuse à des journalistes), et encore quelques documents assez peu détaillés. Les Chartreux ont bien voulu me donner connaissance d'un résumé historique qu'un ancien frère distillateur avait rédigé pour repérer les grandes étapes de la liqueur.
A partir de là, je me suis mis en quête de trouver des documents à travers diverses sources: les archives départementales de l'Isère, les archives de Marseille pour la période 1921-1929, les archives nationales de Paris (où aurait du se trouver un dossier sur la commission des remèdes secrets de Napoléon... mais il était vide), la grande bibliothèque nationale, les archives de Tarragone, et puis les livres et objets de collectionneurs passionnés de Chartreuse, ainsi que des sommeliers et restaurateurs amoureux de la Reine des Liqueurs.
J'ai ainsi mené une sorte "d'enquête policière" pour arriver à faire des hypothèses et en vérifier la validité. Ce qui était fascinant était de pouvoir faire appel à la technologie en zoomant des clichés pour apprécier des détails, en retouchant de vieux documents pour les rendre lisibles, en regroupant des morceaux de "puzzles" pour mieux comprendre certaines péripéties du manuscrit secret...

"Les sachets contiennent des plantes
laissées sur place par les Chartreux
lors de leur départ en 1990"
Quels retours avez-vous reçus suite à sa publication ?
Il y a deux aspects. Du côté du public des passionnés de Chartreuse ou plus simplement des amoureux du terroir Dauphinois, il y avait une attente et l'accueil a été chaleureux et enthousiaste. Du côté de Chartreuse Diffusion dont le conseil d'administration est entre les mains de quelques familles locales, j'étais une sorte d'étranger qu'ils n'avait pas choisi, et comme je venais préciser un peu ce qui ressortait du secret pour le différencier du mystère ou du mythe, j'ai du déranger un peu.
Sur la question de Marseille par exemple, j'ai pu démontrer qu'entre 1921 et 1929, les entrepôts Marseillais n'avaient servi qu'à importer de la Chartreuse depuis Tarragona par bateau et l'embouteiller pour le marché français. Dix ans plus tard, Voiron ne parle plus de distillerie comme cela était le cas avant. A l'époque, il s'agissait de reconquérir le marché en francisant la Tarragone en "Une Tarragone" et de venir empiéter le marché de Cusenier et sa "Chartreuse sans recette". Il était de bonne guerre de laisser croire que cette Chartreuse était fabriquée en France (alors même que Cusenier était en difficulté avec sa "Liquidatreuse"), mais au XXIème siècle, les choses peuvent être dites sans dommage à qui que ce soit. C'est même le devoir de tout historien, fût-il amateur: mettre en perspective les présentations de la réalité historique en fonction du contexte et expliquer comment les narrations d'époque pouvaient comporter une part de propagande. Cela n'enlève rien au secret.
De la même manière, arriver à trouver le nom d'environ 70 plantes ne permettra jamais à personne d'avoir les tours de mains des Chartreux et d'arriver à faire une copie valable de Chartreuse... Au XIXème siècle, tous les apprentis distillateurs du Voironnais devaient faire leurs copies de Chartreuse Jaune à partir de 20 à 50 plantes: pour en avoir goûté, ce n'était pas mauvais, mais ça restait du "Buffalo Grill" face à Bocuse...
A suivre...
Voir aussi :


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